En 2003 dans la Revue Française de Sociologie (précisément le 44ème volume) ; le sociologue et directeur de recherches au CNRS, Philippe Coulangeon publie un article intitulé la stratification sociale des goûts musicaux : le modèle de la légitimité culturelle en question.
Pour amorcer son travail, Coulangeon débute son écrit en faisant le constat suivant : au sein de notre société contemporaine la musique est partout ! Que ce soit dans les magasins, à la maison ou encore en voiture : la musique est véritablement omniprésente dans notre quotidien ! Sous l’impulsion de la multiplication des supports et en lien avec le développement des technologies numériques, on assiste à une diversification de ses usages. Cela a notamment pour effet d’amplifier la différenciation des styles et des genres et ainsi, l’industrie du disque requiert dans cette optique une forte segmentation des préférences. La sociologue des goûts musicaux est ainsi très liée aux préoccupations des professionnels du marketing et, les préférences exprimées en termes de musique sont particulièrement classantes.
Partant de ce postulat, Coulangeon met en avant l’idée suivante : la musique est un domaine où l’individu lambda doit composer avec l’influence des groupes primaires qui peuvent prendre différentes formes (la communauté ethnique, l’environnement familial ou encore le groupe de pairs). Dans son argumentation, Coulangeon met en lumière le fait qu’il existe des liens qui unissent profondément les préférences esthétiques à des variables (origine sociale, statut, capital culturel, …) et c’est notamment quelque chose qui occupe une place centrale dans les travaux de l’un des sociologues français les plus (re)connus : Pierre Bourdieu.
Ce dernier a notamment développer l’idée selon laquelle la sociologie de la formation des goûts passe par deux concepts prépondérants :
1/L’habitus : il associe l’orientation des préférences artistiques au déterminisme des dispositions acquises au stade de la socialisation primaire. Ainsi l’habitus repose en grande partie sur des mécanismes d’imprégnations informels.
2/L’identité sociale du sujet de goût tient au moins autant à l’adhésion positive aux préférences de son milieu. Cela exige une vision hiérarchisée et unifiée de l’espace des styles de vie.
Pour poursuivre son article, Coulangeon évoque les travaux de Peterson et Simkus qui en 1992 mettent en avant cette idée : les classes supérieures diplômées se distinguent des autres non pas par le simple fait qu’elles sont plus tournées vers la musique savante. Elles possèdent également un véritable éclectisme dans leurs goûts ! À contrario c’est au sein des classes populaires que l’on retrouve le plus d’amateurs exclusifs. Avec le temps ce phénomène prend de l’importance et ainsi les « snobs » qui écoutent de la musique savante laissent petit à petit place à des « omnivores » qui vont au-delà de ce genre musical. Cela est notamment le résultat du fait qu’à cette époque on assiste à un décloisonnement des arts savants et populaires. Il y a donc eu une transformation des attitudes culturelles de la part des classes supérieures et ceci explique en partie la montée de l’éclectisme des goûts.
Ce dernier est un effet secondaire de la composante structurelle de la mobilité sociale. Les stratégies de distinction ne reposent non pas seulement sur les objets consommés ; mais aussi sur la manière de les consommer. La musique est tout particulièrement prolifique dans ce domaine : il existe des façons dont les différences sociales trouvent à s’exprimer dans la diversité des modes d’appropriation des œuvres et des styles. Dans cette optique, ce que l’on mesure à travers les genres musicaux écoutés, le plus souvent est beaucoup plus proche des préférences réelles des individus que ce que l’on mesure lorsque l’on les interroge abstraitement sur leurs goûts.
2 principes complémentaires de stratification entrent en jeu quand on parle des préférences musicales : la stratification générationnelle et celle en termes de légitimité culturelle. Il y a une persistance des phénomènes de stratification sociale, culturelle et générationnelle des goûts dont le degré d’éclectisme ne constitue qu’une seule dimension. Toutefois Coulangeon fait le constat suivant : l’environnement musical apparaît pour l’essentiel dominé par la catégorie générique des variétés.