La stratification sociale des goûts musicaux

En 2003 dans la Revue Française de Sociologie (précisément le 44ème volume) ; le sociologue et directeur de recherches au CNRS, Philippe Coulangeon publie un article intitulé la stratification sociale des goûts musicaux : le modèle de la légitimité culturelle en question.

Philippe Coulangeon

Pour amorcer son travail, Coulangeon débute son écrit en faisant le constat suivant : au sein de notre société contemporaine la musique est partout ! Que ce soit dans les magasins, à la maison ou encore en voiture : la musique est véritablement omniprésente dans notre quotidien ! Sous l’impulsion de la multiplication des supports et en lien avec le développement des technologies numériques, on assiste à une diversification de ses usages. Cela a notamment pour effet d’amplifier la différenciation des styles et des genres et ainsi, l’industrie du disque requiert dans cette optique une forte segmentation des préférences. La sociologue des goûts musicaux est ainsi très liée aux préoccupations des professionnels du marketing et, les préférences exprimées en termes de musique sont particulièrement classantes.

Partant de ce postulat, Coulangeon met en avant l’idée suivante : la musique est un domaine où l’individu lambda doit composer avec l’influence des groupes primaires qui peuvent prendre différentes formes (la communauté ethnique, l’environnement familial ou encore le groupe de pairs). Dans son argumentation, Coulangeon met en lumière le fait qu’il existe des liens qui unissent profondément les préférences esthétiques à des variables (origine sociale, statut, capital culturel, …) et c’est notamment quelque chose qui occupe une place centrale dans les travaux de l’un des sociologues français les plus (re)connus : Pierre Bourdieu.

Pierre Bourdieu

Ce dernier a notamment développer l’idée selon laquelle la sociologie de la formation des goûts passe par deux concepts prépondérants :

1/L’habitus : il associe l’orientation des préférences artistiques au déterminisme des dispositions acquises au stade de la socialisation primaire. Ainsi l’habitus repose en grande partie sur des mécanismes d’imprégnations informels.

2/L’identité sociale du sujet de goût tient au moins autant à l’adhésion positive aux préférences de son milieu. Cela exige une vision hiérarchisée et unifiée de l’espace des styles de vie.

Pour poursuivre son article, Coulangeon évoque les travaux de Peterson et Simkus qui en 1992 mettent en avant cette idée : les classes supérieures diplômées se distinguent des autres non pas par le simple fait qu’elles sont plus tournées vers la musique savante. Elles possèdent également un véritable éclectisme dans leurs goûts ! À contrario c’est au sein des classes populaires que l’on retrouve le plus d’amateurs exclusifs. Avec le temps ce phénomène prend de l’importance et ainsi les « snobs » qui écoutent de la musique savante laissent petit à petit place à des « omnivores » qui vont au-delà de ce genre musical. Cela est notamment le résultat du fait qu’à cette époque on assiste à un décloisonnement des arts savants et populaires. Il y a donc eu une transformation des attitudes culturelles de la part des classes supérieures et ceci explique en partie la montée de l’éclectisme des goûts.

Ce dernier est un effet secondaire de la composante structurelle de la mobilité sociale. Les stratégies de distinction ne reposent non pas seulement sur les objets consommés ; mais aussi sur la manière de les consommer. La musique est tout particulièrement prolifique dans ce domaine : il existe des façons dont les différences sociales trouvent à s’exprimer dans la diversité des modes d’appropriation des œuvres et des styles. Dans cette optique, ce que l’on mesure à travers les genres musicaux écoutés, le plus souvent est beaucoup plus proche des préférences réelles des individus que ce que l’on mesure lorsque l’on les interroge abstraitement sur leurs goûts.

2 principes complémentaires de stratification entrent en jeu quand on parle des préférences musicales : la stratification générationnelle et celle en termes de légitimité culturelle. Il y a une persistance des phénomènes de stratification sociale, culturelle et générationnelle des goûts dont le degré d’éclectisme ne constitue qu’une seule dimension. Toutefois Coulangeon fait le constat suivant : l’environnement musical apparaît pour l’essentiel dominé par la catégorie générique des variétés.

Le fan est partout !

En 2009 dans la revue Réseaux, Philippe Le Guern publie un article portant le titre suivant : « No matter what they do, they can never let you down… », entre esthétique et politique : sociologie des fans, un bilan critique. Son but ? Mettre en exergue le fait que tout le monde est fan : aussi bien les personnalités intellectuelles que les individus lambda.

Pour prouver ses dires, l’auteur se base tout d’abord sur sa propre expérience. Étant issu d’un milieu modeste et n’étant pas un féru des vignettes Panini dédiées aux artistes du ballon rond, Philippe Le Guern s’est tourné à l’âge de 10 ans vers les Beatles. Cela lui a permis d’ouvrir des horizons inédits ce qui s’est notamment traduit pour Le Guern par la découverte d’un monde d’harmonies en dehors de son univers domestique et scolaire. L’auteur de cet article c’est dans cette optique construit tout un univers familier autour des Beatles fait d’extraits de morceaux enregistrés des différents sons des Beatles mais également de photos du groupe récupérées. Malgré tout à cet âge et en dépit de son fanatisme absolu, Philippe Le Guern avait pris le parti de ne pas s’engager dans un fan club : il préférait rester discret commentant rarement l’objet de sa passion. Toutefois cette passion avait de puissants effets dans sa vie, qui par ce biais trouvait ainsi tout son sens.

Dans cette optique, Le Guern se range aux côtés de Lawrence Grossberg autour de l’idée suivante : la passion qu’éprouvent les individus que l’on qualifie de fans est une expérience sociale très partagée. Ainsi le mot fan permet a minima de témoigner d’une certaine idée de l’attachement à des objets qui comptent pour ceux qui y sont attachés. Un fan se caractérise en ce sens de la manière suivante : un certain niveau d’engagement dans l’admiration bien supérieur à ce qui est attendu du public « ordinaire » pour ainsi laisser place à une économie de la démesure. Cette dernière se mesure notamment à travers le temps passé ou encore l’argent dépensé par les fans pour assouvir leur passion.

Le fan fait véritablement la part belle à un double niveau d’implication :

-En interne le fan pousse véritablement au maximum le rapprochement entre passion et style de vie

-En externe il inscrit généralement sa passion dans les réseaux communautaires, qui sont des lieux privilégiés pour notamment permettre la création d’échanges et d’interactions sociales avec d’autres personnes qui partagent la même passion. Le Guern pose alors la question suivante : l’expérience des fans est-elle comparable aux liturgies religieuses ? De nombreux ouvrages (de par leurs titres notamment) suggèrent cette idée à tel point qu’il est aujourd’hui très difficile d’échapper au mot culte dans l’espace médiatique. Ainsi certains établissent une analogie entre rituels liturgiques et rituels de fans tandis que d’autres critiquent l’usage métaphorique du terme culte.

Pour expliciter ce dualisme qui existe entre ceux qui font le lien avec le religieux et les autres, Le Guern mobilise notamment Matt Hills qui dit notamment que selon lui l’attitude des fans n’est pas comparable aux comportements religieux. Elle relève pour lui du néo-religieux, et ainsi pour lui le registre religieux est le seul qui rend compte d’une passion singulière et en apparence irrationnelle.

Matt Hills

C’est un fait : le fan est présent dans toutes les couches de la société : aussi bien dans la petite bourgeoisie que dans les classes populaires. Au sein de la société contemporaine les hommes et les femmes ordinaires sont réduits au rôle de fans voués à consommer faute de mieux les produits les moins légitimes de la culture populaire. Le fan dévoile sa condition sociale par le fait qu’il s’empare avec un sens exagéré d’objets à faible légitimité (films, disques, séries télévisées, …) tout en étant totalement désintéressé par la recherche du profit immédiat qui caractérise notamment les détenteurs de la grande culture. Malgré tout la culture fan est une forme de la culture populaire faisant écho à la culture officielle et qui en reproduit la structure.

Pour certains auteurs le fan est un public actif, coproducteur du sens des œuvres et qui est engagé dans une véritable dynamique d’appropriation. Il participe également à des sociabilités et des interactions qui supplantent la simple réception. Il existe en ce sens 3 types de productivité : sémiotique (production de la signification des identités sociales  ; énonciative (il s’agit de la circulation des significations relayées par les « conversations » à l’intérieur des communautés de fans) ; textuelle (les fans se réapproprient les « textes », les détournent, les parodient, les prolongent, les reconfigurent, comme dans le cas des fan-fictions ou encore des vidéos « alternatives » élaborées à partir de vidéos musicales, de séries télévisées ou de films).

La créativité des fans souligne la tension entre les communautés de fans et les industries culturelles ; et il y a véritablement une lutte entre ces deux éléments avec notamment les industries culturelles qui tentent par tous les moyens de contrôler les fans.

Les nouveaux rapports entre les publics et les artistes

En 2012 dans le numéro 117 de la revue Sociétés, Pierre Garcin publie un ouvrage portant le titre suivant : Internet et les nouvelles formes de liens publics/artistes. Son idée derrière ce travail ? Témoigner des métamorphoses de l’industrie du disque notamment avec l’arrivée et le développement d’Internet.

Pour débuter ce article, Garcin remonte aux années 1980, période à laquelle il existait déjà des échanges entre pairs notamment entre passionnés de genres musicaux peu mis en avant par le biais des médias classiques. Avec l’appui d’Internet et du numérique ces pratiques se sont démocratisées et cela a notamment permis l’émergence d’une figure de spectateur perçu comme un acteur ; mais également le développement de nouveaux prescripteurs qui offrent une alternative crédible aux projets et aux artistes qui n’ont pas accès aux médias traditionnels.

Depuis le succès de l’industrie du disque après la Seconde Guerre Mondiale et l’épanouissement du star system, de nombreux acteurs ont décidé de tenter leurs chances. Cela s’est notamment traduit par une augmentation croissante des groupes, des projets et des artistes mais également l’émergence d’innovations technologiques qui permettent encore aujourd’hui aux individus lambda d’avoir accès au matériel nécessaire pour réaliser des enregistrements de qualité. Au sein de notre société contemporaine il est donc possible de construire un projet musical de qualité mais se démarquer dans un environnement hyper-compétitif est un véritable challenge.

Les maisons de disque ont effectué des coupes budgétaires et ainsi elles ne se présentent plus comme étant les découvreurs de talents qu’elles pouvaient être autrefois. En ce sens c’est l’artiste lui-même qui doit prouver ses compétences et ainsi dans cette optique prouver leur potentiel commercial. L’autoproduction est donc devenue une étape cruciale et, Internet s’est imposé comme un moyen de promotion à la portée de tous. Il permet notamment aux artistes de rendre facilement disponibles mais également de contrecarrer la sphère médiatique traditionnelle. Internet présente également le mérite de faciliter les échanges entre les fans mais également la construction de réseaux. Les consommateurs acquièrent en ce sens un rôle nouveau qui affecte en profondeur les industries culturelles notamment par le biais de la capacité de ces derniers à s’organiser et à s’exprimer.

Il subsiste toutefois parmi les consommateurs des disparités pour ce qui est des formes de participation et en ce sens seule une minorité produit des contenus écrits ou multimédias. Toutefois on a bel et bien un investissement autre que par la simple écoute ! À côté de ça il est prépondérant pour les artistes émergents/en développement de développer des relations plus intimistes avec leurs publics pour les aider dans leurs démarches de promotion et de ce fait, développement le phénomène de bouche à oreilles.

Les nouvelles manières d’écouter de la musique

En 2007 dans le vingt-deuxième numéro de la revue scientifique intitulée la pensée de midi, le docteur en information-communication Emmanuel Vergès publie un écrit portant le titre suivant : nouvelles pratiques de l’écoute musicale. Il cherche dans ce dernier a mettre en exergue le fait qu’avec le développement du numérique et des technologiques qui lui sont associées, la consommation musicale s’en est retrouvée profondément impactée ; et cela s’est notamment traduit par l’émergence de nouveaux phénomènes, de nouveaux comportements chez les férus d’œuvres musicales.

Pour amorcer son travail, Emmanuel Vergès va tout d’abord réaliser des constats concernant notamment les évolutions du marché de la musique. Le premier est sans appel : depuis le début des années 2 000 l’industrie du disque traverse une passe compliquée et ceci est notamment perceptible à travers des baisses considérables des ventes. Cela a fait notamment passer les consommateurs pour des pirates qui peuvent grâce au développement du peer-to-peer s’échanger et télécharger des œuvres musicales. Parallèlement à cette vision caricaturale, les ventes des Ipod et plus globalement des lecteurs MP3 ont explosé rendant ainsi le format MP3 incontournable dans les us et coutumes des individus lambdas.

Au sein de notre société contemporaine on a une démocratisation totale de la pratique de création et de production musicale et, la diffusion par le réseau est devenue très populaire. La logique de la réception-production des publics sur le Web a construit de nouvelles manières de lire, d’écouter et de regarder pour ainsi redéfinir la culture et les biens en ligne.

Globalement l’informatique et le numérique ont permis un travail sur les écritures et les esthétiques de la musique qui sont notamment décelables à travers la redécouverte de nouvelles sonorités, des nouveaux sons ou encore ces inventions. Il y a eu une véritable démocratisation de la musique et dorénavant un individu lambda peut réaliser un projet musical sans pour autant avoir derrière lui des années de solfège ou encore acheter des instruments.

Le revers de la médaille de cette démocratisation musicale réside dans le fait que le numérique et les réseaux déterritorialisent et rendent des plus complexes la gestion des droits liés à l’exploitation des œuvres. Dans ce domaine également les pratiques s’individualisent et différentes manières de mesurer les richesses sont établies. Une oeuvre musicale n’est donc pas autour d’un support intangible, d’un lieu exclusif permettant sa diffusion et sa visibilité. La reproduction numérique crée véritablement un nouvel objet à appréhender et il faut en ce sens éduquer les auditeurs pour ainsi les conduire à appréhender dans les meilleures conditions ces nouvelles pratiques.

La définition de la sociologie du goût musical

En 2004 dans numéro 85 de la revue Sociétés, le sociologue Antoine Hennion fait paraître son article intitulé une sociologie des attachements : d’une sociologie de la culture à une pragmatique de l’amateur.

Dès les premières lignes de cet écrit, Hennion s’attache à mettre en avant le fait que son travail réalisé avec d’autres chercheurs lui a permis de déceler l’élément suivant : le goût musical est bien plus qu’une propriété, qu’un attribut fixe lié à des déterminations externes. En effet, il s’agit selon lui d’une activité collective avec des objets permettant de créer un « faire ensemble », passant par des savoir-faire et n’ayant de sens qu’à cause des « retours » que les pratiquants en attendent. En ce sens la sociologie du goût est bien plus qu’un jeu social gratuit et ignorant de lui-même.

Antoine Hennion

Les pratiques des amateurs font varier les éléments de base du goût tels que l’appui sur un collectif, le rapport à l’objet ou encore la constitution d’un dispositif technique (= conditions favorables au déroulement d’une activité ou de l’appréciation). Ainsi, le goût est un dispositif réflexif et instrumenté de mise à l’épreuve de nos sensations. Cependant l’objet ne contient pas ses effets et, il se découvre précisément à partir de l’incertitude, de la variation,… Il y a ainsi cette idée de médiation : les moyens mêmes qu’on se donne pour saisir l’objet tels que le disque, le chant, la danse ou encore la pratique collective.

Pour illustrer ses propos, Hennion mobilise un exemple concret : Philippe, un amateur de musique qui dispose chez lui d’une véritable discographie. Entreposés dans cette pièce, ses disques témoignent de sa passion. Il a mis en place une véritable gestion de ses moments de plaisir. Cet amateur tout comme les autres trouve fait présider son goût au classement et son écoute n’est pas qu’instant : elle est aussi histoire. Écouter la musique est une position étrange, dont on a du mal à percevoir le caractère paradoxal une fois qu’on l’occupe et qu’elle nous est devenue si naturelle.

Le retour de l’objet musical lui-même sur l’individu peut se faire notamment grâce à l’appui sur les autres ou encore à l’entraînement musical. La musique permet également de renouer avec son passé (comme c’est le cas pour Ahmed, un enquêté mobilisé par Hennion quelques temps après Philippe) ou encore d’apprivoiser un patrimoine. De nos jours il existe désormais une fonction-écoute qui se décline sous différentes modalités : sélection aléatoire ou programmée, écoute flottante ou sur-ciblée, modulation du volume, répétition à volonté, retours arrière, classements et regroupements, insertion dans les activités les plus inattendues, …

La musique avant tout c’est quelque chose à faire (y compris pour ses spectateurs), et le plus souvent à faire ensemble.

L’hégémonie des clips

En 2018 dans la revue Volume ! datée de 2018, Marc Kaiser et Michael Spanu publient l’article suivant : « On n’écoute que des clips ! » , penser la mise en tension médiatique de la musique à l’image. Leur but avec cet écrit ? Montrer la prégnance des clips au sein de notre société contemporaine notamment en matière de médiatisation des événements musicaux.

Kaiser & Spanu partent du constat suivant : c’est un fait, aujourd’hui les clips semblent être omniprésents. Ils sont diffusés sur une multitude de canaux (dédiés ou généralistes) et selon différents formats, thématiques. Alors qu’autrefois ils se limitaient à la sphère télévisuelle, ils ont petit à petit envahi l’espace public notamment grâce à la prolifération des écrans. Les clips sont très importants notamment pour les festivals, les séances studio ou encore les concert et ; ils participent véritablement au lancement d’exposition. Les clips sont même devenus des objets muséaux et de grands réalisateurs de clips ont fait la transition vers l’univers cinématographique. Les mises en image des musiques populaires sont de plus en plus sophistiquées et, il y a véritablement une course à la visibilité.

Alors qu’autrefois les clips étaient réservés à une petite minorité d’artistes, au sein de la société contemporaine il est devenu possible de réaliser et de diffuser un clip soi-même. Ils sont ainsi devenus de nouveaux supports d’expression pour les artistes, les musiciens amateurs ; à tel point que les clips peuvent les transformer en stars mondiales. De ce fait, certains artistes envisagent leur musique comme des œuvres audiovisuelles à part entière avant même qu’ils n’aient commencé à composer. Ainsi, la situation actuelle est résumée de la meilleure des manières par le rappeur/producteur de freestyles filmés Didai : « aujourd’hui la musique se regarde plus qu’elle ne s’écoute. On n’écoute que des clips ! » Ce phénomène touche toutes les musiques et véritablement les modes de perception ont été transfigurés avec l’arrivée d’Internet.

Les fans sont désormais attachés à la musique par la biais des clips diffusés notamment sur YouTube et la consommation symbolique du clip reste prépondérante dans la construction et la ritualisation du goût musical. Les musiques populaires du XXIè siècle présentent la particularité de valoriser de manière particulière la participation sociale et physique du public. Dans les clips on assiste à une exploitation esthétique de notre capacité à voir « n’importe quoi » ou plus précisément à voir autre chose que la performance instrumentale. Dans cette optique, le clip attire notre attention vers la musique tout en nous en éloignant. C’est un fait : il déplace le regard, il éloigne le spectateur lambda du musicien pour l’emporter vers des formes narratives. Le clip peut véritablement constituer un prolongement de la chanson. C’est donc un médium qui renvoie à une esthétique spécifique dans laquelle la musique serait primordiale sur les images.

L’exemple du rappeur Childish Gambino et de son clip sur le son Feels Like Summer est éloquent dans cette perspective

Les images ajoutées au son donnent lieu à des formes d’énonciation, notamment pour les spectateurs et ainsi, le clip peut fonctionner comme étant un générateur de représentations musicalisées de l’espace, du temps et des identités. Il participe à la création d’imaginaires médiatiques communs qui sont constamment réactualisés notamment grâce aux performances inscrites dans un contexte socioculturel particulier. Les clips dépendent des modes de représentations hégémoniques des sociétés contemporaines et, ils peuvent les transgresser, les perpétuer, les contester. Le format des clips a très fortement évolué et des prolongements commerciaux sont possibles. YouTube se présente comme étant l’avatar principal de la globalisation numérique qui renégocie la place traditionnelle du récepteur numérique.

Malgré la prégnance de YouTube, les clips sont également visionnés sur d’autres sites et cela fait écho à l’évolution des formats entourant la diffusion des clips.

La visibilité des artistes en ligne & hors-ligne

En 2012 dans le numéro 175 de la revue Réseaux, Irène Bastard, Marc Bourreau, Sisley Maillard et François Moreau publient l’article suivant : De la visibilité à l’attention : les musiciens sur Internet. Cet écrit cherche à expliquer la transformation des artistes qui sous l’impulsion des outils numériques sont aujourd’hui devenus de véritables entrepreneurs de leur notoriété. Ces chercheurs veulent répondre à la question suivante : la décentralisation des outils de promotion permet-elle aux artistes non-stars de dynamiser leur audience ?

Cet article débute avec le constat suivant : début 2012 une recherche Google sur la chanteuse Lady Gaga générait en 0,22 secondes 113 millions de résultats. Ces derniers résultent d’une activité en ligne de différents acteurs qui contribuent à la notoriété de cette artiste. Cette activité permise par le biais d’Internet est significative pour des grands noms comme Lady Gaga mais qu’en est-il des artistes dont la promotion est plus confidentielle ? C’est un fait : ils se sont saisis des outils du web pour développer leurs audiences et dans cette optique accroître leur succès commerciaux.

Toutefois, au sein de notre société contemporaine la demande en matière de musique est concentrée sur quelques personnalités publiques, ce qui est notamment caractéristique du Star System. Il existe aujourd’hui des centaines de milliers de références musicales mais seule une minorité a accès à la promotion des médias, qui entraîne un effet de mimétisme lié au bouche-à-oreille. Malgré les décennies successives, cet élément est la seule forme de promotion qui est restés « artisanale » et la recommandation par les pairs présente le mérite de donner une valeur sociale à l’oeuvre en plus de réduire l’incertitude du consommateur pour l’achat d’un titre.

Pour créer les artistes stars de développer la recommandation par le bouche-à-oreille il faut inévitablement passer par la promotion des œuvres par les médias de masse et, Internet multiplie les canaux de communication.

Les limites du monde physique ne sont plus en vigueur en ligne et, les fonctions sociales du web 2.0 renforcent le phénomène de bouche-à-oreille. Ainsi il est aujourd’hui possible qu’un illustre inconnu publie son avis sur un album sur Amazon et que son opinion soit visible par tous et de ce fait, cela rend encore plus critique la visibilité de l’artiste évalué. Il y a donc bel et bien une évolution dans la promotion des projets musicaux et également des artistes. Se pose alors pour ces derniers la question de la démocratisation de l’accès aux publics.

C’est un fait : le web démocratise l’accès à la visibilité et cela contrecarre avec l’extrême concentration de la promotion sur quelques artistes hors-ligne. Ainsi, elle est très inégalitaire dans la presse alors que de son côté le web permet aux stars ou aux inconnus d’être présents sur les plateformes de promotion, ce qui dans les médias traditionnels n’est réservé qu’à une élite restreinte. Malgré tout, la présence en ligne des artistes reflète la hiérarchie construire hors ligne et, les rappeurs sont surreprésentés sur toutes les plateformes numériques.

L’activité en ligne peut-être impulsée par les artistes eux-mêmes ou par les publics de ces derniers. Les outils de promotion en ligne peuvent être saisis et utilisés par les artistes eux-mêmes, ce qui n’est pas le cas pour les outils de promotion traditionnels. Grâce aux nouvelles plateformes numériques de promotion, le fan peut désormais participer directement à la promotion de ses artistes préférés notamment quand il les estime injustement ignorés par les médias traditionnels. Comme pour la promotion hors ligne, la distribution de la notoriété sur Facebook et sur Twitter est très concentrée et ; les artistes qui ont la plus forte audience sur Internet sont également les plus promus hors ligne.

Ainsi, les hiérarchies établies dans l’univers hors-ligne se maintiennent dans le monde numérique malgré les potentialités offertes par le web. Il y a une réelle inégalité de la distribution et de ce fait, les audiences en ligne reflètent toujours les rapports et les hiérarchies du monde traditionnel. Internet offre l’opportunité d’une plus grande activité des artistes sous notamment la forme d’une mise en scène de soi ou encore l’autopromotion mais cela ne permet pas de rompre totalement avec l’univers hors-ligne.

Les artistes à faible notoriété et leurs fans ont donc encore manifestement un apprentissage à réaliser des dispositifs et des pratiques de la promotion en ligne.

Les amateurs de rap

En 2010 dans Volume! la maîtresse de conférence à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, Stéphanie Molinero, publie un ouvrage portant le titre suivant : Les publics du rap. Son idée est simple : en se basant sur une enquête sociologique, elle veut déconstruire les représentations et les discours répandus notamment au sein de l’opinion publique lorsque l’on parle de rap.

Tout d’abord Stéphanie Molinero s’attache à inscrire son travail dans une double généalogie regroupant les recherches sur la musique se rapportant aux sciences humaines, sociales et celles sur la culture hip-hop. Ces éléments participent à la création d’un récit légendaire alors que de son côté Molinero tend à insister sur la diversité, la fluidité et la labilité (= propension à changer) du rap et de son public. Le rap en ce sens n’est donc pas un genre musical réservé à un public de garçons majoritairement issus de l’immigration et qui vivent dans des quartiers sensibles. C’est bien plus que cela ! Cette vision caricaturale passe sous silence la figure de l’amateur, qui occupe une place prépondérante au sein du public des fans de rap. Dans cette optique, son travail entre en connivence avec celui réalisé par Antoine Hennion sur la sociologie du goût musical.

Stéphanie Molinero s’attache donc à définir l’amateur comme étant bien plus qu’un consommateur passif, manipulé par les médias. Au contraire, il bricole et construit sa passion musical de manière autonome ! Dans son ouvrage, elle met en avant le fait qu’en France le public du rap hexagonal est essentiellement jeune, masculin, issu du milieu populaire et qu’il habite majoritairement dans des zones urbaines. Malgré le fait qu’il ne soit pas encore diffusé auprès de la société dans sa globalité, le rap gagne du terrain auprès des classes moyennes, supérieures, des femmes ou encore à l’extérieur des zones urbaines sensibles.

Le rap s’est diversifié et ainsi il se présente aujourd’hui pour les amateurs comme un genre musical homogène qui relaie des messages clairs et simples. Ce n’est évident pas le même constat pour les publics les moins avertis auprès desquels le rap reste perçu comme une musique homogène, porteuse de fortes images négatives. Cette diversification du rap est conçue aux yeux des amateurs comme une perte de sens notamment quand ils opposent le rap indépendant et le rap issu du show-business et des grands médias.

Le rap conserve malgré tout sa matrice originelle (c’est la musique des quartiers discriminés) tout en permettant un renouvellement artistique à travers notamment des textes plus poétiques. Mais quand les rappeurs décident de prendre une nouvelle orientation artistique et ainsi de quelque peu rompre avec l’essence même de ce genre musical, la majeure partie du public leur soupçonne souvent de changer de camp. En 1995, année durant laquelle Diam’s fait parler pour la première fois d’elle en tant que rappeuse on lui reproche de changer le rôle de genre, de se faire mec ; en lien notamment avec le machisme ambiant.

Pour les fans de rap il existe donc deux sortes de rap : le vrai et le faux et, tout une nouvelle presse (incarnée par le magazine culturel et politique les Inrocks) s’est mise en place pour juger selon des critères bien précis (paroles intelligentes, valeurs relayées,…) ce qui est bon et mauvais.

L’économie de la triche sur les réseaux sociaux

Dans les numéros 197 & 198 de la revue Réseaux, parue en 2016 Thomas Bauvisage et Kévin Mellet réalisent un article qui portant ce titre : Travailleurs du like, faussaires de l’e-réputation. Ce écrit se base autour du constat suivant : en 2012 la sphère médiatique s’agite. En effet à cette époque de nombreux articles parus dans des quotidiens généralistes mettent en lumière le fait qu’il est possible d’acheter des fans sur Facebook, des followers sur Twitter ou encore des vues sur YouTube.

Les personnalités publiques issues de tous horizons et notamment les artistes musicaux n’hésitent pas à recourir à de telles pratiques et ceci remet en cause la notoriété qu’ils peuvent avoir en ligne, avec finalement des communautés et des fans qui se trouvent phagocytées par de faux « comptes » qui participent à la création d’un capital réputationnel factice. Dans cette optique, une véritable économique de la triche s’est mise en place sur les réseaux sociaux et, elle constitue l’envers du décor de la réputation en ligne. En effet, les technologies du web incitent la participation et l’expression des internautes/socionautes dans des proportions massives et sous des formes diverses et variées : likes, partages, productions amateurs, commentaires, … Ces contributions permettent d’exercer une activité sociale de mise en visibilité, d’appréciation et d’évaluation des individus mais également des entreprises.

Grâce à cela la réputation se retrouve enregistrée, mesurée et quantifiée. De ce capital réputationnel acquis en ligne par un artiste découle une hausse de la valeur économique de son travail. Il veut tout mettre en oeuvre pour domestiquer, identifier et gérer les différentes formes de participation des fans. Ainsi, les vendeurs de fans font voler ceci en éclat et en ce sens ils apparaissent comme étant des faussaires de l’e-réputation. Cela pose alors la question de la différence entre les fans « acceptables » et les faux fans. Ces derniers sont bien éloignés de la vision caricaturales répandues à leur égard : ils sont bien plus qu’une forme tardive et parasitaire du marketing des réseaux sociaux. Les faux fans existent depuis les prémices du social media marketing !

Ainsi les médias sociaux apparaissent comme un médium de communication devenu incontournable et ; qui donne lieu à une multiplicité de démarches. Ainsi, des indicateurs sociaux et d’engagement ont vu le jour et ils prennent différentes formes : likes de page, nouveaux likes, likes des publications… Pour augmenter le plus facilement ces éléments, le recours aux faux fans est utile d’autant plus que les offres sont foisonnantes sur le web. Dans cette perspective c’est quelque chose d’extrêmement facile d’accès notamment via Google à travers des requêtes explicites du type « acheter des fans ». Ces derniers sont aujourd’hui le produit phare des différents sociaux qui n’usent pas des mêmes termes, des mêmes appellations pour les qualifier. On a donc les fans pour Facebook, les followers pour Twitter, Instagram et Pinterest, les vues d’une vidéo pour YouTube. Les produits secondaires (commentaires, retweet, etc.) sont de leur côté plus compliqués à obtenir .

Finalement il existe trois situations majeures favorisant l’achat de fans sur les réseaux sociaux :

1/Le discount  = des fans similaires à ceux du marché légitime

2/L’acheteur complice : à l’inverse, une posture dans laquelle l’acheteur et le vendeur de fans s’entendent sur un produit de contrefaçon, et mettent en avant des qualités de ressemblance

3/La chasse aux clients crédules : la vente dissimulée de fans de contrefaçon par des acteurs profitant d’un marché du social media marketing jeune et peu équipé

Cela met en évidence une question essentielle : qu’est-ce qu’un « vrai » fan ; c’est-à-dire un fan acceptable et conforme aux attentes. Et bien il est authentique et ainsi il possède un caractère ordinaire et c’est lui en chair et en os qui a liké, partagé une publication/photo. Il contrecarre donc avec les robots qui commandés par des programmes informatiques likent, postent des commentaires et font ainsi des actions à la portée de n’importe quel utilisateurs des réseaux sociaux.

Il existe également les travailleurs du clics, qui s’apparentent à de véritables individus mais malgré tout ce ne sont pas des internautes ordinaires. Ce sont des de petites mains payées pour cliquer sur des boutons like à longueur de journée dans des pays où la main-d’œuvre est bon marché

Enfin il y a également les glaneurs qui regroupent les techniques de génération de likes ou de vues émanant d’internautes ordinaires. De ce fait, au-delà du découpage binaire entre fan authentique et faux fan, il y a tout un continuum de techniques qui reposent à la fois sur des critères techniques (humain / non humain) et relationnels (intérêt sincère ou non).

L'évolution des artistes musicaux

En 2012 Pierre Garcin publie dans la revue intitulée sociétés, un écrit qui porte le titre suivant : Devenir musicien dans l’ère numérique. Il cherche à mettre en exergue le fait que la généralisation de l’usage d’Internet et la démocratisation du numérique ont métamorphosé le marché des productions culturelles.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, Pierre Garcin met en lumière le contexte dans lequel se trouve l’industrie du disque depuis le début des années 2 000. Elle traverse une crise importante symbolisée notamment par la perte de valeur considérable du marché de la musique enregistrée en France ; qui est passée de 1298 à 584 millions d’euros entre 2002 et 2010 selon le syndicat national de l’édition phonographique (SNEP). Cela a donc créé une situation de précarité pour les maisons de disques qui a déteint sur les artistes qui aujourd’hui, doivent composer avec une concurrence accrue ; dans un marché tiré par l’offre et non par la demande.

Pour se démarquer, les artistes doivent maintenant maîtriser différentes activités et ainsi être capables de réaliser plusieurs tâches en s’investissant notamment dans divers projets/activités. Cela peut prendre de multiples formes : la polyvalence (= fait d’occuper plusieurs postes au sein d’un même collectif de travail) ; la polyactivité (= l’exercice de plusieurs métiers dans des champs d’activité distincts) ou encore la pluriactivité (= l’exercice de plusieurs métiers dans un même champ d’activité).

En plus de cette multiactivité qui fait aujourd’hui partie intégrante dans les professions artistiques, les artistes doivent disposer d’un capital relationnel conséquent mais surtout avant tout, prouver leur potentiel commercial et le fait qu’ils réussissent à fidéliser un public. Avec le fait que dans notre société contemporaine l’offre musicale est foisonnante, le public est de plus en plus imprévisible. Pour faire parler de soi il faut donc développer des relations plus profondes avec ses fans en spécialisant sa communication ou encore en maîtrisant les réseaux sociaux.

Alors qu’au début des années 2 000 une simple démo suffisait pour démarcher les professionnels de l’industrie musical, maintenant il faut que les artistes leur présentent un produit qu’ils ont entièrement finalisé de leurs propres mains ! Cela passe notamment par un enregistrement de qualité, une identité graphique ou encore un discours. Ces éléments sont essentiels pour définir la personnalité esthétique du projet musical. Les labels recherchent uniquement des artistes « prêts à l’emploi » et dans cette optique l’autoproduction est une étape essentielle.

À défaut d’être mis en avant par les grandes structures opérant dans l’industrie musicale, les artistes se doivent d’être présents sur Internet. Il faut se rendre disponible à une époque où se rendre sur un moteur de recherche pour en savoir plus sur un son ou un artiste est devenu un réflexe. Des artistes n’hésitent pas à créer leur propre site internet et la conception doit être minutieuse d’autant plus dans une ère où les gens zappent très rapidement en raison notamment de l’offre musicale pléthorique.

La toile facilite la prise de contact entre les artistes et les fans mais également entre les artistes et d’autres intermédiaires (musiciens, marques, salles de concert…). Pour franchir un pallier dans sa carrière, l’artiste contemporain doit nécessairement passer par la case communication. Cela n’est qu’une des nombreuses nouvelles exigences auxquelles doivent se plier les artistes musicaux contemporains. S’ils ne sont pas en mesure d’assumer ce rôle, ils peuvent avoir recours à des managers de fortune qui leur permettront de se faire une image, une actualité.

Pour se mettre en avant, les artistes émergents ont recours à des micro-réseaux qui peuvent prendre différentes formes (webzines, webradios, sites et blogs spécialisés dans la musique) et qui se développent énormément sur internet. Cela leur permet d’obtenir une certaine visibilité mais également d’avoir les premiers retours sur leur production.

Pour contrer l’offre musicale trop importante qui est vécue comme une situation d’hyperchoix, les consommateurs se replient sur la sphère locale. Ce public est plus impliqué dans les activités de promotion et ils sont soucieux de développer une relation de pairs à pairs. Mais dans tous les cas pour atteindre une certaine popularité et ainsi accéder à une large audience, les artistes doivent être à la fois musiciens, producteurs, managers, graphistes, experts en communication… Ainsi, ils seront en mesure de s’adapter à l’évolution des modes de consommation de la musique et du comportement des consommateurs.

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